Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les humeurs de Let, sur la presse et en marketing ... depuis ma salle de bain.

Correspondant local de presse : quand les médias se sabordent

Correspondant local de presse : quand les médias se sabordent

Coupable de "travail dissimulé". C'est la décision que vient de rendre une cour d'appel en région, à l'encontre d'un quotidien local, après cinq années de procédure engagée contre un correspondant local de presse (CLP) qui voulait faire reconnaître ses conditions de travail dans la presse. Retour sur un désastre aux conséquences graves, et pas seulement en terme d'image, pour le puissant groupe de presse derrière ce titre local.

C'est une affaire comme il en existe partout en France que celle d'un média local qui a trop joué avec les lois du travail et l'utilisation des correspondants locaux de presse (CLP). Les faits qui nous intéressent aujourd'hui sont singuliers et malheureusement d'une rude banalité : une jeune personne est "recrutée" par un journal dit de proximité, pour rédiger dans les pages locales du journal, sous le statut de correspondant local de presse. Un statut qui n'en est pas un, puisque le dit élu, ne cotise à rien, le média non plus et il n'existe pas de contrat de travail pour encadrer cette activité génératrice d'articles voués à être édités et donc vendus : tout repose sur le seul échange de volontés. Le CLP reçoit en rétribution de son labeur quelque 20 euros par "papier" (somme aléatoire en fonction des usages du média) rédigé pour le titre.

Pour ceux qui ne sont que peu familiers avec cette terminologie, le CLP c'est la personne que vous croisez le week-end, lors des manifestations de nos communes, rurales par excellence. Parfois on lui attribue aussi la rédaction des compte-rendus des conseils municipaux de nos communes, des rencontres sportives de son territoire, le tout sans aucune formation et donc sans contrat.

Précarisation de la production 

Outre la précarité offerte, en l'espèce à ce jeune motivé par l'envie d'embrasser la carrière de journaliste, le CLP ne peut prétendre à l'obtention d'une carte de presse, réservée aux seuls journalistes professionnels. Tout au plus, l'entreprise lui imprime un bout de carton de la taille d'une carte de visite, à l'ancienne, portant mention de son nom, de ses coordonnées numériques et téléphoniques et du logo du média pour lequel il écrit. Document qui lui permet de passer les barrières des animations communales qu'il va devoir couvrir pour les pages locales du canard qui utilise sont temps et sa plume. Pas de congés payés non plus, pas de cotisation aux caisses de chômage et de retraite ou de maladie non plus. Triste époque.

En l'espèce, le dit journal est allé-delà de cette simple rencontre de volontés non écrite, en offrant à notre CLP un bureau au sein de la rédaction (jamais un CLP ne profite d'un bureau dans une rédaction) pour alimenter aussi la page Facebook du titre. Une infraction caractérisée, et dénoncée par... personne, si ne n'est le principal intéressé, las d'être pris pour un jambon et qui ronge son frein en touchant du doigt la réalité de la vie d'un média local peu enclin a respecter les règles du droit du travail.

A maintes reprises il est entré en contact avec la hiérarchie, pour lui signifier, entre autres, son souhait de changer de statut pour celui de journaliste. En vain.

"Ca te met le pied à l'étrier"

Jamais ni son "employeur" ni le rédacteur en chef n'ont accédé à cette demande (mais quelle latitude est laissée à un rédacteur en chef, fusse-t-il directeur de publication ?). Pas plus il n'aura été soutenu par ses collègues ou un syndicat, puisque pour ce dernier, il n'existe aucun statut juridique pour ces plumes volontaires. Une aubaine, toute relative, pour le titre qui obtient ainsi le résultat d'un travail à moindre coût contre la promesse, à peine soutenable, de temps meilleurs à venir pour le CLP : "Sois patient, ça va venir et puis ça te permet de te mettre le pied à l'étrier". Succulent. Le CLP attendra plusieurs années dans l'espoir un jour, d'obtenir au moins la reconnaissance de l'entreprise qui lui fait de la place dans ses colonnes.

Dans cette affaire, mais il en existe pléthore en France, l'employeur n'a pas lésiné sur les moyens... pour aller à l'encontre, froidement, de son ex-plume. C'est tout l'arsenal procédurier pour se défendre de la décision prudhommale qui lui a été défavorable, que l'entreprise utilisera durant cinq ans : il interjette appel, et toujours non satisfait, saisi pas moins que la Cour de cassation pour faire valoir son droit (à lui !) puis reformule un autre appel. Nouvelle déconvenue pour le titre, car les faits sont tenaces : le lien de subordination est bien présent. Il est ainsi établi que le CLP répondait aux demandes de sa hiérarchie.

Le statut de CLP, précaire et ne reposant donc sur aucune base juridique au regard des textes, est alors requalifié en journaliste salarié par les magistrats. Après cinq années de rudes combats et de pièces versées au dossier, le titre est reconnu coupable de travail dissimulé et condamné à verser des dommages et intérêts à hauteur de quelque 70 000 euros à son ex CLP. Somme à laquelle il faut ajouter les frais d'avocats et le retard des cotisations patronales dues à l'Etat. Au final une somme rondelette à débourser pour le groupe de presse, qui les accumule. Puisque d'autres dossiers sont pendants devant les tribunaux. Le calcul, financier de l'employeur est-il alors le bon ?

L'argent facile, l'argent le nerf de la guerre

Avec ce recours aux CLP, le média tient-là ses éditions quotidiennes : entre deux encarts publicitaires, synonyme de rentrées d'argent, pour zéro charge normalement dévolue à l'Etat, les pages locales ont le mérite d'exister et de donner de quoi lire au lectorat qui ignore tout ce qui se joue en coulisses.

Pour avoir voulu peu rémunérer un collaborateur en dehors de tout cadre juridique, et passer in fine à côté des déclarations dues par l'employeur, l'entreprise paie très cher une pratique d'un autre temps. Avec pour conséquences, des dégâts non négligeables sur toute la chaîne de production de l'information dans un contexte de défiance de la presse.

Le média en question continue néanmoins de se voir verser par l'Etat, les aides à la presse : rien que de l'argent public ! (en savoir plus sur les aides à la presse). L'Etat, lui continue de fermer les yeux. Les abolitionnistes de l'esclavage doivent se retourner une nouvelle fois dans leurs tombes...

-----------------------------------------
Les aides à la presse, un héritage révolutionnaire

La contribution de l'Etat à la presse écrite repose sur le principe de l’information des citoyens et à la diffusion des courants de pensées et d’opinions.

Elles ne sont pas nouvelles. Les premières aides concernaient l'acheminement postal durant l'épisode révolutionnaire. Depuis, celles-ci se sont élargies et reposent aujourd'hui sur des objectifs de développement de la diffusion, de défense du pluralisme et de modernisation et de diversification vers le multimédia des entreprises de presse. Elles constituent désormais " le régime économique de la presse", soutient le ministère de la culture en charge de leurs attributions.

Aides directes et aides indirectes, le ministère les développe sur son site : à lire ici !

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article